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Le Journal d'une Externe
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Le Journal d'une Externe
19 septembre 2008

Au pays de Candy...

En surfant un peu (un peu beaucoup vu que je n'arrive pas à travailler depuis 3 jours...), je suis tombée sur des blogs de patients. Rien de mieux que des patients qui s'expriment spontanément sans présence médicale ou paramédicale pour savoir ce que les gens ressentent vraiment... Il y a aussi les forums, mais je trouve ça parfois trop revendicatif ("Le Dr X. m'a mal soigné et je veux le dénoncer" qui dénote plutôt d'un terrible manque de communication entre médecin et patient que d'une véritable incompétence comme très souvent...).

Alors j'ai lu 2 blogs en particulier : celui d'une femme qui se bat contre son cancer du sein, très drôle ("My Cancer is Rich", je ne retrouve plus le lien) ! Elle est en rémission maintenant. Et celui d'une jeune maman qui se bat contre une leucémie... Elle décrit tous les examens qu'elle doit subir depuis des mois (réalisés par mes futurs confrères qui la torturent pour la guérir ensuite... d'ailleurs au passage je ne pensais pas que la fibroscopie bronchique était si horrible que ça, je suis naïve, hein ?). Et le sort s'acharne sur elle, entre les multiples piqûres car son PAC ne marche pas, les infections opportunistes, le report de la greffe, l'aplasie qui dure, les blastes qui s'accrochent... !

Normalement avec le temps, les médecins deviennent fatalistes sur ce genre de cas. Mais moi, ça me révolte toujours autant. Comme si les maladies étaient des criminelles de guerre en quelque sorte... C'est pour des patients comme ça que j'ai fait médecine... Pas pour me la jouer SuperWoman et sauver tout le monde, parce qu'il faut tout de même un minimum de réalisme... Quoique je n'ai toujours pas ce réalisme et je persiste et signe encore : je suis toujours optimiste pour mes patients. Un peu comme la pensée magique en psychiatrie, vous savez ? "Si je ne pense pas ça, il va se passer ça", alors qu'on sait très bien que ça n'y changera rien... Depuis que je suis externe, je suis devenue une peu superstitieuse. Comme quand je dis que je suis une poissarde en garde, je vais finir par le croire alors que je ne crois pas du tout à la loi des séries (quoique...). Bref, je veux croire que ça va aller en toute situation, même quand ma raison pseudo-médicale de vieille externe blasée du système me chuchote le contraire. Comme par exemple en réa pour mon pauvre patient VIH (CD4 à 4...), 35 ans, qui avait des lactates à 25 et des tonnes de noradrénaline... J'y ai cru naïvement. Comme dans les films, un revirement de situation inespéré ! J'y ai cru aussi pour cette adorable mamie Madeleine avec son hypersignal du tronc cérébral... Ouais ben je sais, c'est que dans les films que ça finit bien... Et parfois j'ai bien fait d'y croire, je crois... Comme pour bébé Evan qui a pu naître par voies naturelles alors que ça risquait de finir en césarienne et sauvetage express de bébé en souffrance. Comme pour le gentil patient en USIC qui a fait un arrêt cardiaque à 6h du matin (juste après le constat de chute de 4h30 du matin, rappelez-vous...).

Mes profs me dégoutent souvent de la médecine et me donnent l'impression que je suis une nulle, une étudiante qui s'en fout...  Déjà la timidité n'arrange rien. Et puis je ne sais pas de quoi je me fous, sûrement du système protocolaire, oui, ça beaucoup, énormément... Je me fous de ma paye de 200 euros qui donne le droit à l'hôpital de tantôt m'apprendre des choses et tantôt m'exploiter comme une merde. J'oublie de pointer. J'oublie de croiser l'air de rien les gens importants du service pour montrer ma gueule d'externe zélée qui fait ses heures. J'oublie de rentrer tôt chez moi bosser mes supers cours de maladies infectieuses en m'éclipsant telle une comète. L'art consiste à ne croiser personne sur ton chemin avant d'atteindre ton bus, et pour ça, je pense que je me ferais griller tout de suite (comme la seule fois où j'ai essayé de copier sur ma voisine en 5emeD pour être sûre d'une réponse...) ! J'oublie de partir quand j'ai l'impression d'apprendre des choses ou que je veux suivre le devenir d'un patient. J'oublie que parfois on se souvient un peu de ma tronche et que je n'ai pas le droit d'être absente même clouée au lit avec de la fièvre (ou aux toilettes avec d'autres symptômes... top glamour !). Parce que j'ai oublié que l'excuse de l'externe qui sèche, c'est qu'il a été malade. Donc j'oublie de trouver de fausses excuses. On me dit "mais tu étais où hier ?", j'oublie de dire que j'étais là (mais très bien cachée et avec une cape d'invisibilité). Non comme une conne, je dis la vérité, ben ouais tu sais des gastro et des virus qui te collent de la fièvre, ça existe pour de vrai, tu n'as qu'à regarder tes patients, ils viennent pour quoi ?! Etre externe ne m'a pas vaccinée contre les maladies, c'est diiingue ! Et depuis petite, je tombe souvent malade et donc je suis souvent allée chez le médecin, jamais traumatisée au contraire tu vois (d'où mon incompréhension face à ces mioches qui braillent dès qu'ils voient un médecin) !

J'oublie toujours comment est organisé le service (alors tel jour il y a le staff, là il y a réunion...) et donc même quand je suis là, il faut vraiment que je vois un bus de 20 blouses blanches descendre en salle de staff pour comprendre ce qui se passe (en même temps pour écouter un labo faire sa pub et ensuite s'entendre faire la morale sur le professionnalisme...). J'oublie de montrer à mon interlocuteur que j'ai retenu quelque chose qu'il m'a enseigné. Comme aujourd'hui : comment biper ? Je ne me souviens jamais des chiffres à composer au début, 47 ou 44 ? "Comment ? Tu ne sais pas biper ? Mais tu ne t'impliques pas !" J'oublie de dire "Oui pardon je suis une grosse merde tu as raison" donc j'essaye de me justifier : "Ben je sais jamais si c'est 44 ou 47 ?!!!" J'oublie que je n'ai pas le droit de ne pas savoir.

J'ai horreur de l'organisation de ces études, de la plupart de mes stages quand j'ai l'impression d'y venir pour rien, où quand j'ai l'impression de faire quelque chose de bien mais que mon travail n'est jamais revu et corrigé... Ou alors, parce que je n'ai pas la santé de fer d'un chirurgien ou de n'importe quel fou de médecine qui est marié à son travail, je passe pour une qui s'en fout. J'ai commencé par me bousiller la santé en P1 pour ce concours stupide et je me suis jurée de ne pas recommencer comme ça parce que se rendre malade pour son travail, surtout en médecine, c'est vraiment un comble. Le pire c'est quand on se tue la santé entre les gardes, les stages, les conf et qu'on a l'impression de brasser du vide, de ne servir à rien, en tout cas dans l'immédiat. Parce que jeune externe ou petit P2, tu ne sais pas grand chose, tu apprends et en plus, cerise on the cake, tu peux apporter une oreille attentive aux gens !! Au casino, on appelle ça le jackpot ! A la fête forraine, on appelle ça le gros lot. Et en médecine, on appelle ça le début de la désillusion. Car quand tu es vieille externe, tu n'es toujours pas autonome, tu apprends des choses oui, mais on a tendance à te couper des gens, enfin on ne te coupe pas de leurs organes, mais on te coupe de toute l'écorce autour ! Tu as beau résister, tu es happé par l'appel de l'organe, l'appel de l'art !

Alors oui, je me fous (à tord) de certaines choses, notamment de l'image que je peux donner en stage, mais je ne me fous certainement pas des gens ? Heureusement que les patients m'encouragent par des gentilles paroles parce que j'en viens à désespérer ! A désespérer comme quand on s'inquiète pour un patient et qu'un interne ou un médecin te dit que tu n'es pas là pour ça, qu' "on est pas là pour faire du social", ou que de toute façon, "il va mourir". Ok mon boulot c'est juste de trouver le diagnostic ? Ah ouais, c'est le cluedo quoi ! Le colonel moutarde dans la bibliothèque avec la corde, j'ai gagné ?

Je me fous de la médecine dans son art, oui... Tiens, ça m'a toujours fait marrer de dire que la médecine était un art (on te l'assène dès la P1 en histoire de la médecine). Je n'ai pas un grand sens artistique (peut-être un peu en écriture, enfin je l'espère secrètement depuis toute petite...) surtout quand il s'agit de décrire de belles maladies passionnantes pour les neurones des blouses blanches, mais terriblement mortelles ou handicapantes pour les gens en blouse jaune... Derrière l'art de trouver une cause à une souffrance, il y a des gens, il paraît... Et je crois que ça m'empêche parfois de bien faire mon métier, je ne suis pas assez professionnelle encore, encore trop empathique, je crois... C'est grave de dire ça, hein ? Parce que si je n'avais aucun scrupule, je serai allée faire 20 PL et 50 gaz du sang sur des gens dont je n'aurais même pas vu la tête, mais rien que pour le geste. J'aurais intubé des morts qui refusaient qu'on leur mette un tube dans la gorge de leur vivant et j'aurais fait des TR pour le fun à des gens qui n'en auraient pas eu besoin (" Le TR doit figurer dans vos observations les externes !!!", c'est comme ça que des jeunes qui viennent pour pneumonie franche lobaire aiguë finissent avec un doigt dans le cul et en plus ça rime !). Je me serais entraînée sur des organes et au moins, je saurais faire des actes techniques !

Bref...

Je vais regarder la Star Ac, ça va m'enlever quelques neurones mal implantés !


Donc sinon, pour en revenir aux patients et à leurs blogs qui me font délirer sur ce vaste sujet des études de médecine, j'espère qu'ils vont tous aller le mieux possible et tant pis si on pense que je vis au pays de Candy !

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Commentaires
V
Joli message ma tite Tama! Je te soutiens totalement car je ressens souvent ce que tu ressens...(ou ce que tu racontes en tout cas)<br /> Et contente de t'avoir croisée à la fac tout à l'heure!!!<br /> gros bisous
C
cette desillusion , ce sentiment me prend a chaque fois que je frnachie le pas de l hopital et je te comprend. au debut j' en ai bavé mais la j' avoue que j' ai trouvé un juste milieu. mais je l'ai trouvé en me trouvant! j'ai ouvert ma vie au monde non medical ( amis famille ) et a celui qui partage ma vie ( il est bien loin de la medecine) et je suis appaisée. je pense qu' il faut savoir deconnecter et savoir deconnecter ne veut pas dire que l'on est moins compétent!<br /> <br /> trouve toi et ouvre ta vie tu verra ce n'est pas incompatible avec les etudes medicales!
R
Je te suis depuis longtemps.<br /> (d'ailleurs j'adore la nouvelle interface de....non, j'adore ton nouveau blog, jle kiff à mort)<br /> En tant que non-soignant (pour le moment...) je préfère ne rien dire, car ne connaissant rien au ressenti vécu pendant les études médicales..<br /> Mais en tant qu'être humain, je suis fier que des gens comme toi fasse médecine. Non, non....ce n'est pas de la tartination à base de confiture écoeurante de faux-sentiments...c'est juste vrai, ce que je pense.<br /> Et puis j'adore te lire.<br /> <br /> (commentaire d'un naïf ^^)
J
Il existe dans la vie des médecins passionnés par leur boulot., Mais, etre un médecin passionné par son boulot ne signifie pas nécéssairement aligner les heures de travail.<br /> Il y a des médecins chez qui cela se voit, dans leur rapport avec le patient. Je pense que tu fais, pour le moment du moins, partie de ceux qui font médecine aussi pour les relations humaines. Tu as tout à fait raison de ne pas oublier le patient qui se cache derrière la maladie, c'est tout à ton honneur, je pense. J'espere que tu conserveras cet état d'esprit, car, finalement, on est le médecin que l'on veut être. Même si, les années passant, les responsabilités et la charge de travail est telle que, même si tu le souhaites ardement, tu as beaucoup beaucoup moins de temps pour tes patients.<br /> En tout cas, n'écoute pas trop tes chefs qui te disent tout et n'importe quoi à ton égard. Peut-être ont-il été formés "a la vieille école". L'important est aussi ce que toi, tu ressens, au fond de toi-même, tes propres raisons de vouloir faire et continuer médecine.<br /> C'est ton choix de ne pas transgresser tes principes, même au nom de l'apprentissage de ton métier.<br /> Maintenant, après je pense qu'on ne peut pas etre non plus trop touchée par le sort des patients. Vouloir qu'ils s'en sortent, avoir encore de l'espoir, les accompagner, oui, bien sur. Mais pour etre un référent solide, le médecin ne peut pas ramasser toute la souffrance de ces patients, et tout ce qui va avec, sur ses épaules, ce n'est pas possible, parce qu'un médecin n'est pas SuperWoman. C'est aussi pour cela, quelque part, que les médecins qui aiment les gens et ce qu'ils font sont toujours étonnés qu'on les remercie, car pour eux, ils ne font que leur boulot. Oui mais pour le patient, c'est important, d'autant plus quand il est bien fait.<br /> Par ailleurs, quand le temps manque pour faire de l'humain, on peut touot à fait compter sur les autres professionnels paramédicaux qui gravitent autour (infirmiers, psychomotriciens).<br /> Bien sur que non que le métier de médecin ne se limite pas à poser un diagnostic. Mais il reste parfois très difficile de prendre le temps de prendre le temps. Et, s'il y a une équipe paramédicale autour, c'est aussi pour une prise en charge la plus adaptée possible du patient, notament au niveau humain.<br /> Apres, je te félicite pour ta manière de penser et j'espère sincerement que tu la conserveras le plus longtemps possible. Je dois dire que je partage ta vision. Maintenant, oui, c'est vrai, de temps en temps, en médecin, il faut savoir mettre ses poings dans ses poches et rentrer un peu dans le moule...Ca, tu l'apprendras au fur et à mesure.<br /> <br /> Faire la médecine pour les gens est une belle raison de faire médecine. Mais fais malgré tout attention à toi ! ;)<br /> <br /> Bises
V
Non, on ne devient pas fataliste, mais on apprend à accepter que la mort fasse partie de notre métier, qui n'est pas seulement guérir mais aussi soigner... Accompagner un patient vers la mort, c'est aussi ça être médecin, même si c'est difficile... <br /> Quant à l'empathie c'est la capacité de comprendre ce que peut ressentir l'autre sans impliquer ses propres émotions. C'est cela qui est difficile, car souvent ce n'est pas de l'empathie que nous avons mais de la sympathie. Ne soit pas inquiète, tu apprendras cela aussi... Mais c'est vrai que tu ne trouveras pas ce savoir dans les bouquins, c'est ta propre expérience personnelle qui te permettra de trouver la juste distance.<br /> Pour ma part, j'ai fini depuis un an, j'ai bien progressé me semble t-il dans ce sens, mais néanmoins cela ne m'a pas empêché récemment de verser une larme pendant une visite devant une famille... Ben oui, on est humain après tout...<br /> Reste toi même, garde tes convictions et ta sensibilité...<br /> Pour finir un excellent bouquin sur la communication médecin malade que je te conseille : "Soigner sa communication" par Peter Tate, un ouvrage d'une grande justesse qui a reçu le pris Prescrire 2006.<br /> Bon courage!
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